Rencontre avec Jonone

 



 

Parle moi de ta vision du mouvement Hip Hop, lorsque tu es arrivé en France.

Au début c'était dur parce que le Hip Hop en France n'était pas encore trop développé, sauf en ce qui concerne le graff. Je venais des Etats Unis, et le reste de la culture Hip Hop n'était au même niveau que là-bas. En France, le rap c'était de la merde, les mecs criaient et ça ne te donnait pas du tout envie de danser. Je me rappelle les premiers concerts de rap à l'Elysée Montmartre, personne ne bougeait, tout le monde était là avec la bouche ouverte, sans rien comprendre, car la musique française, à cette époque, parlait d'amour et le rap ne passait pas à la radio. Personne ne pensait que le rap français allait donner quelque chose, et en fait petit à petit ils ont commencé à développer leur style.

Comment se sont passés tes débuts à Paris ?

Ca s'est bien passé mais certaines personnes ont été déçues, car comme je te l'ai dit, ils interprétaient une certaine culture américaine. Lorsque qu'ils m'ont rencontré, ils s'attendaient à voir le gars Hip Hop qu'ils s'étaient imaginé et je suis certain de les avoir déçu. Parce qu'à cette époque, j'étais habillé tout en camouflage et eux étaient habillés en Kangol, Puma, Good Star. Je sortais d'un "state of war" (état de guerre, NDLR) où je fumais du crack, de l'herbe et la plupart de ces gens ne fumait pas, on aurait dit des vierges. Pour certains c'était une mode mais pour moi c'était la réalité. Je suis venu ici parce que j'étais graffeur et que j'étais né dans un certain quartier, eux avaient vu "Beat Street" et "Style Wars".

Tu as rapidement commencé à graffer avec eux ?

Je ne sais pas si ça s'est fait tout de suite, car je faisais attention quand même, étant donné que je ne connaissais pas les règles ici. Je sortais avec eux mais ils n'étaient pas nombreux et tout le monde se connaissait. J'ai fait des graffs avec Boxeur, Bando et le BBC Crew.


Quel rôle as-tu joué dans le mouvement en tant que graffeur ?

J'espère qu'avec mon style - car je fais des freestyles - les gens qui ont vu mon travail se sont un peu ouvert l'esprit, et qu'ils ne sont pas restés coincés à interpréter quelque chose mais à être plus libre de s'exprimer. J'espère aussi avoir donné à la rue un peu de pêche.

Qu'est-ce qui influence ton travail ?

Le passé, le présent, et le futur je crois. Mon passé est très fort dans ma vie et, en un sens, je le vis dans ma tête : que ce soit, là où j'ai grandi ou la manière dont j'ai grandi. Ma culture m'influence également, ce n'est pas vraiment une culture américaine mais beaucoup plus une culture Hip Hop. Je ne parle pas de la culture Hip Hop d'aujourd'hui avec le Wu Tang, Puff Daddy, Cash Money Crew, "Cling, cling, cling" (bruit de l'argent, NDLR), mais plus de l'esprit Hip Hop au sens fort du terme : le break, les rappeurs, être un vrai B-Boy, les jams derrière les HLM, tout le monde qui sort ses platines, qui est habillé comme des "fly girls"… Tout ça est présent en moi, mais j'ai aussi évolué et ma culture s'est ouverte à d'autres éléments, je pense par exemple être aussi influencé par la peinture moderne.


Quand tu pars dans la rue, c'est pour y poser quoi ?

En ce moment je fais des flops, c'est mon kiff !

Lorsque tu peins, sais-tu à l'avance ce que tu vas faire ?

Ca dépend, parfois je sais, parfois j'invente. Si je le sais à l'avance c'est parce que j'ai été entraîné à faire des toiles. Je ne dis pas que je suis seul dans tout ça, il y a beaucoup de gens qui m'aident, qui me donnent des conseils. Depuis que j'ai seize ans, je suis entouré d'artistes qui vivent un peu de la même manière que moi. Mais lorsque je fais des choses dans la rue, c'est plus pour moi, car c'est d'abord pour me vider, pour m'amuser et pour me prendre un peu la tête sur tout ça. Je pense que c'est un privilège, un honneur, de pouvoir encore sortir dans la rue à 37 ans.

Qu'est-ce que le graffiti idéal pour toi ?

C'est un graffiti qui reste.

Quels sont les meilleures productions que tu as réalisé dans la rue ?

Je dirais tous les flops que j'ai fait dernièrement à Paris. Je me suis préparé pendant à peu près dix-huit mois pour placer une centaine de flops dans la rue. Je crois simplement que lorsque j'ai commencé mes flops en France, il n'y avait pas cette mentalité ici. Il y avait un autre esprit pour poser ton nom et, je pense qu'avec des gens comme, FMK, SEB, ZEUS, ANDRE, SOI, O'CLOCK, on a donné un peu du Bronx à Paris. Nous avons déchiré à un point tel, qu'il y a eu une nouvelle vague de graffeurs. Paris a aussi commencé le nettoyage des tags comme aujourd'hui.

Privilégies-tu une technique plutôt qu'une autre ?

J'aime le fat caps et le montana. Mais quand je dois interpréter mon travail d'artiste sur un mur, la technique utilisée est celle de ne pas en avoir. Tout le monde vient avec son sac rempli de bombes et de fat caps, et moi je viens avec mes pinceaux. J'utilise tous types de choses pour que cela rende bien, et je crois que c'est cela qui rend mon travail spécial, car j'ai une approche différente, je n'ai pas de règles. Si je veux mettre des affiches, je les mets, si je veux brûler les murs, je le fais.

 

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