Rencontre avec Jonone

 



 

Il y a également eu le déplacement du graffiti du métro vers les galeries branchées, entre autre The Fashion Moda, qu'en pensais-tu ?

C'était bien, certains graffeurs arrivaient à prendre ce qu'ils faisaient dans le train et à l'exprimer sur la toile. Mais comme toujours, il y en avait quelques-uns qui n'avaient rien à voir avec le fait de mettre des choses sur toile. Ils ont fait des expos, et après ça a créé des confusions, les gens ne s'y retrouvaient plus. Ils ont mélangé tout le monde et ne regardaient plus le travail individuel, ça a créé un marché trop saturé. Mais les galeries comme Fashion Moda, c'était bien.

Mais le graffiti qui passe du mur à la toile demande une autre démarche, tu ne peux pas représenter une œuvre faite sur un mur sur une toile, ce n'est pas à sa place.

C'est exact, c'est pour ça qu'il y en a certains qui sont meilleurs pour les toiles et d'autres pour les murs. Pour remplir une toile ils n'ont pas vraiment le truc pour s'exprimer. Il y a certains artistes qui arrivent à faire les deux, mais ils sont très peu nombreux.

As-tu connu Henry Chalfant (Artiste, réalisateur de "Style Wars", et auteur de nombreux livres sur le graff dont "Subway Art" et "Spray Can Art", NDLR) ?

Oui, oui !

Il a énormément contribué à faire décoller le graffiti, que représente-t-il pour toi ?

Avant, il n'y avait pas de magazine, où tu pouvais regarder le travail des autres comme aujourd'hui. L'atelier d'Henry était un endroit où je passais pour regarder les photos qu'il faisait des graffitis, c'était aussi une sorte de lieu social où tu rencontrais les autres graffeurs. Tu ne savais pas qui allait frapper à la porte. C'était un lieu vraiment bien ! Henry était quelqu'un de vraiment bien, il a beaucoup donné pour faire avancer le mouvement.


As-tu travaillé dans son atelier ?

Non, j'y suis seulement allé pour traîner et regarder les photos de son book. Il en avait des tonnes.

Où en était le graffiti lors de ton arrivée à Paris en 1987 ?

Le graff était vraiment bien développé, parce qu'il y avait Bando, Sew, Mode 2, et le BBC Crew. Paris était vraiment la capitale du graff en Europe. Il y avait beaucoup de gens qui faisaient l'aller-retour entre Paris et New York, ils savaient donc ce qui s'y passait à ce moment-là. Ils revenaient avec des idées qu'ils appliquaient sur les murs de Paris, à Stalingrad. Pour moi, tout ce qu'il y avait en dehors du graff de New York, c'était de la merde. C'était la mentalité et c'était la réalité aussi, parce que c'était de New York que sortait le vrai style, c'est comme la musique jamaïcaine.

Penses-tu que les artistes graffeurs français n'avaient pas encore trouvé leur propre style ?

Non, parce qu'on m'avait montré des photos de ce qui se passait à Paris, je les ai regardées et je les ai trouvées super parce que j'avais tort. J'avais tort parce qu'à Paris ils avaient leur propre style - un bon style - et leur propre vibration. C'était une énergie que je n'avais jamais ressentie auparavant, des couleurs qui n'existaient pas, des caractères, des thèmes, des structures, des lettrages qui étaient tout nouveaux pour moi. Quand je suis arrivé ici, je savais qu'il y avait des gens qui peignaient bien mais ils avaient leur propre mentalité. Moi j'étais plus un "barmer", un mec déchiré, plutôt "attardé". Ils avaient leur manière d'interpréter une culture, et moi j'étais dans la soupe !

Qu'as-tu trouvé dans la culture Hip Hop française ?

En France, il y a une très forte culture Hip Hop qui est unique, très "à la française". Pour moi - même s'ils ne parlent pas anglais et si ce n'est pas le Bronx - il y a quelque chose de très bien qui se passe ici, où je retrouve mes racines et un peu de moi-même. Peut être qu'à New York je ne trouverais pas ça, ces gens qui peignent dans la rue, qui aiment faire de grands murs. C'est bien la France, ici je me retrouve.

Le fait de venir en France, de changer de culture, qu'est-ce que cela a provoqué pour toi au niveau artistique ?

Cela m'a aidé à évoluer. Si j'étais resté à New York, je pense que mon travail n'aurait jamais évolué à ce point. En France, j'ai eu l'opportunité d'avoir un studio pendant cinq ans, ça m'a énormément aidé à évoluer dans mon travail. Ici, j'arrive à vendre mes toiles, à vivre de mon art, ce qui est très important pour un artiste, comme le fait que les gens apprécient ta peinture. En étant ici, mon travail a beaucoup progressé, mais j'ai fait en sorte qu'il progresse. Je ne suis pas resté dans mon lit à attendre, j'ai beaucoup travaillé, j'ai fait beaucoup de toiles et de dessins. C'est le souhait de beaucoup d'amis qui m'ont appris des choses mais qui n'ont jamais eu l'opportunité que j'ai eu. "This may sound corny" (Cela peut avoir l'air bateau, NDLR), mais je ne veux pas les décevoir, j'ai cette rage pour eux. Je crois qu'ils m'ont aidé à progresser, mais ils m'ont aussi donné cette rage, celle que l'on avait tous lorsqu'on peignait les métros. On ne faisait pas ça "à la gentille", on descendait presque trois fois par semaine, on restait parfois tout le week end et on peignait des métros entiers. On avait tous la rage. Je continue à travailler pour le posse.

 

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