Rencontre avec la chorégraphe
Max-Laure Bourjolly de la compagnie
Boogi Saï.
Peu
avant les huit coups, peu avant la
seconde représentation de "Virtualité
ou Illusion du Bonheur", donnée
à l'occasion des Rencontres
2001, à la Villette, nous avons,
une autre lady (Lo) et moi-même,
rencontré Max-Laure Bourjolly,
chorégraphe de la compagnie
Boogi Saï (qui signifie danse
endiablée).
Max-Laure est une personne relativement
calme, agréable, pas polémique,
mais qui dit les choses telles qu'elles
sont, sans fioritures, et sans complaisance
non plus. C'est une personne sincère
et surtout pugnace, car elle sait
lutter, par le corps et l'esprit,
contre les préjugés,
pour la liberté et pour la
danse. Pour reprendre les paroles
d'Akhenaton, qui sont de circonstances
: "Je n'ai pas envie d'être
résumé (
) et c'est
une chance de pouvoir s'exprimer et
de discuter" (France Inter, "Alternatives"),
le portrait s'arrête ici, place
aux mots de la lady.
Tout
d'abord, bon anniversaire à
la compagnie qui fête ses dix
ans cette année ! Pourriez-vous
nous rappeler le parcours de la compagnie
?
La
compagnie débute fin 1990,
et la première grande scène
a lieu sur la scène nationale
de Beaubourg en 1991. En fait, on
démarre notre date d'anniversaire
avec cette première scène.
Il y a également eu une collaboration
en 1994 avec le Théâtre
Contemporain de la Danse à
Paris. Ce projet englobait quatre
compagnies, Aktuel Force, Macadam,
Art Zone et Boogi Saï. Puis,
nous avons procédé à
la structuration de Boogi Saï,
donc l'association, en 1994/95, et
par la suite, la première grande
création "Bal et Poussières".
On a joué la première,
ici, aux Rencontres, en 1996, la pressea
couvert l'événement,
Le Monde a fait un grand article dessus.
En 1998, il y a eu la deuxième
grande création qui s'intitule
"Une basket pour Cendrillon",
un conte classique adapté en
conte hip hop. Aujourd'hui, nous sommes
en 2001, avec "Virtualité
ou illusion du bonheur", la troisième
grande pièce de Boogi Saï.
Et quel
est votre parcours ?
Je
suis autodidacte à la base,
j'ai commencé à danser
par moi-même en solo, puis j'ai
fait la rencontre des "Blacks,
Blancs, Beurs" en discothèque.
Les "Blacks, Blancs, Beurs"
s'étaient créés
un an auparavant, on s'est rencontrés
en 1984/85, je suis entrée
dans la compagnie, et j'y suis restée
dix ans. J'en suis partie en 1994,
et en parallèle, j'avais créé
Boogi Saï, je ne dansais pas
dans Boogi Saï mais je chorégraphiais.
En fait, je suis co-fondatrice de
Boogi Saï avec Alex Benth, et
on en est co-leaders tous les deux.
Et on
a souvent dit que Boogi Saï était
la plus féminine des compagnies
de danse hip hop, est-ce une représentation
que vous partagez ?
En
fait, sur "Une basket pour Cendrillon",
des tabous se sont brisés,
et de ce fait, tout le monde parle
de féminité. Mais ça
a toujours été une compagnie
mixte, où il y a même
eu plus de garçons que de filles.
Au départ, il y avait trois
filles et cinq garçons, dans
"Bal et Poussières"
et "Une basket pour Cendrillon"
il y avait autant de filles que de
garçons, on était au
moins quatorze sur scène. Et
puis, pour "Virtualité",
il n'y a qu'une fille. Mais disons,
qu'à travers moi, pour "Une
Basket pour Cendrillon", j'ai
eu envie de mettre en avant l'élégance
d'une femme, mais aussi l'élégance
des hommes. J'ai eu envie de montrer
que les hommes, ce n'était
pas que des brutes dans le hip hop,
qu'il y a ce côté-là
et aussi l'autre côté,
où il y a des hommes qui sont
attentionnés et attentifs.
Et j'ai eu envie de montrer que les
filles hip hop étaient belles,
qu'elles ne sont pas tout le temps
en baggy. C'est vrai que c'était
quelque chose qui servait le conte,
parce qu'une fois que mes personnages
se retrouvaient au château,
je ne les voyais pas se mettre en
baggy et en baskets. Donc, quand mes
personnages sont au château,
les belle-surs ont envie de
plaire au prince, de se faire choisir,
et quelque part au bout du "conte/compte",
elles vont être élégantes.
Et l'élégance se retrouve
à travers les habits, les chaussures
à talons, les robes longues,
donc la féminité. C'est
vrai que c'est un ballet qui a mis
en avant la féminité,
aussi parce que j'en ai eu envie.
Et c'est vrai que je trouve qu'il
y a des tas de tabous dans la culture
hip hop, et grâce à ce
conte, il y a des tabous qui ont été
transcendés, donc c'est intéressant.
J'ai pris un gros risque et je le
savais.
Qu'est-ce
que c'est le style Boogi Saï
?
Tout
d'abord, le hip hop a des codes bien
précis, il y a différentes
formes d'expression techniques, mais
nous sommes des gens venant de pays
divers, on a su garder ça.
C'est-à-dire, qu'on n'a pas
envie de se dénaturer, on sait
qu'on a une culture commune mais,
avant tout, je suis haïtienne,
il y en a qui sont Cap-Verdiens, Camerounais,
Italiens, notamment une danseuse qui
est métissée Italie-France.
Donc tout ça, ce sont des choses
qu'on est obligés de prendre
en compte, et c'est ce qui forme Boogi
Saï. C'est pour ça que
je parle d'un style Boogi Saï,
parce que je n'ai pas envie d'annihiler
ça, tout en restant dans notre
culture commune qui est la culture
hip hop.
Et au
niveau de la danse, comment cela se
traduit ?
On
fait ressortir en particulier le feeling,
la rapidité du geste, l'énergie
qui vient d'ailleurs, d'Afrique, d'en
haut, et une énergie qui existe
déjà chez nous, à
l'intérieur de nous. Cette
énergie-là, c'est vrai
que je n'ai pas eu envie de passer
au travers. Et puis il y a mon tempérament,
je suis quelqu'un qui fonce, j'ai
besoin de sentir la vitesse, le déplacement
dans l'espace. Dans mon écriture
chorégraphique, il y a tout
ce rapport à l'espace, la danse
reste vraiment sur place, il y a la
rapidité du geste, mais en
même temps, le déplacement
dans l'espace qui l'accompagne, et
c'est vrai que c'est une écriture
propre à Boogi Saï.
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