Peut-on
parler d'éclectisme en danse
? Est-ce qu'on rencontre différents
genres de danses (contemporain, classique,
jazz, arts martiaux
) ? Et pour
les musiques, est-ce qu'on mélange
les styles ? Et pour finir, quelle
est la place réservée
aux femmes ?
Depuis cinq, six ans, il y a un mélange,
il y a ceux qui veulent et il y a
ceux qui ne veulent pas évidemment,
donc ce mélange de danses,
en passant par la danse indienne,
la danse traditionnelle, la danse
contemporaine aussi, la capoeira et
les arts martiaux. Il y avait un danseur
qui faisait du Mun cha ku-hip hop,
ou encore claquettes, step, enfin
tout est possible. Tout ce qui est
art populaire, ils cherchent partout,
danse classique, puis tout ce qui
à côté ne se mélangent
pas. Au niveau musical, ils utilisent
tout, c'est-à-dire, dans la
création comme fait Franck,
la musique classique, variétés
: Dalida, Piaf, Brel (un solo sur
"Au suivant" de Sébastien
Le François), puis le vieux
jazz, puis aussi musique traditionnelle
arabe, corse.. Tout ça c'est
vrai. Ça donne parfois des
choses très naïves, parce
qu'ils prennent le Boléro de
Ravel, encore une fois, des trucs
classicos, classicos.
En ce qui concerne la mixité
sociale, ça c'est plus difficile,
même s'il y a de plus en plus
de ''bourgeois'' - on dit ça
pour aller vite - qui passent par
le conservatoire. Certains conservatoires
de région donnent des cours
de Hip Hop, et là ça
devient le cours classique de Hip
Hop, ce n'est plus dans la transmission
de l'impro, mais dans la transmission
des codes, des cours, des codes comme
en danse contemporaine, classique,
et là il y a essentiellement
des filles.
Mais pour ce qui est de la mixité
filles-garçons dans le milieu
Hip Hop, elle existe aussi quand même,
mais la plupart du temps, des filles
qui viennent de danse contemporaine
ou classique et craquent et viennent
voir du côté du Hip Hop,
il y a une sorte d'attirance ponctuelle.
Et puis, il y a de plus en plus de
compagnies de femmes, notamment Boogie
SaÏ qui vient de fêter
ses dix ans. Mais Max-Laure étant
haïtienne, je pense qu'il ne
devait pas y avoir les interdits qu'il
y a dans la communauté musulmane,
donc elle a pu monter quelque chose,
se battre pour exister. Sinon, il
y a tout ce côté-là
où t'as pas le droit de montrer
ton corps, il y a le grand frère
qui est là, de moins en moins,
parce que ça bouge quand même
et que les générations
se bougent. Il y a des femmes, mais
elles passent plus facilement par
le théâtre, tout ce qui
est expression est mieux accepté.
Et il y a la question quand même,
au départ, que tout ce qui
est physique, acrobatique, tout le
sol, donc il faut qu'elles trouvent
une place, et très vite. Il
y a des comparaisons, malheureusement,
donc il faut trouver d'autres moyens
de montrer sa danse. Tout ça,
ça fait que c'est très
difficile, entre le côté
sexiste, social difficile et l'expression
artistique qui ne favorisent pas l'expression
féminine. Ce qui est beau,
c'est quand les garçons ouvrent
et essaient de créer des duos
sur le contact et là c'est
vachement beau.
Tout
à l'heure nous parlions du
clivage rue - institution, comment
ça se passe concrètement,
comment est-ce que c'est vécu
par les compagnies ? Y a-t-il rupture
quand on commence à faire de
l'institutionnel et qu'on abandonne
la rue ? Est qu'ils arrivent à
jongler sinon entre les deux ?
Ils essaient, mais d'abord quand ils
passent professionnels et que ça
marche, il y a beaucoup de boulot,
beaucoup de contrats, même si
ce n'est pas seulement de la création,
c'est aussi de la formation. C'est
une question complexe, parce qu'ils
ont besoin de bouffer aussi, c'est
pas marchand comme la musique, c'est-à-dire
qu'ils sont payés ce qu'ils
sont payés, ils ne vont pas
faire des fortunes, c'est un salaire
décent. Donc, par rapport à
l'institution ils n'ont pas l'impression
d'être des vendus. Par contre,
par rapport à l'artistique,
c'est-à-dire ce que tu montres,
ce que tu crées, est-ce que
c'est une réponse à
la demande de l'institution ? Parce
que l'institution demande à
ce que ce soit sur des plateaux, donc
il faut changer la forme, il y a une
attente du public, on ne peut pas
faire du défi, sinon les gens
ne verraient rien ! Et aussi quel
est l'enjeu politique ? Le côté
subversif n'y est plus, la grande
question en France - le budget culturel
étant assez important - est
de savoir si on peut être subversif
en étant à l'intérieur.
En Allemagne, ce que disait Storm,
c'était qu'ils ne sont pas
programmés dans les théâtres,
la question ne se pose pas, donc ils
sont dans la rue, et c'est pour ça
qu'il y a énormément
de battles là-bas. Et ce n'est
pas pour rien qu'il y en a très
peu en France, c'est parce qu'il y
a d'autres espaces privilégiés
en France via le Ministère.
Les institutions en France sont-elles
prêtes à voir le Hip
Hop rentrer dans ses rangs ? Quel
est l'enjeu ? Est-il politique, artistique
?
Oui,
maintenant il y a un enjeu essentiellement
artistique, c'est-à-dire renouveler
la danse. C'était un truc très
clair, renouveler le public c'était
un filon quand même, mais sans
trop déranger non plus. C'est
pour ça que c'est bien cadré
et que, du coup, c'est un enjeu politique.
C'est-à-dire que la culture
étant un des aspects de la
politique - servant la politique -
les compagnies sont prises là-dedans
parfois, mais je pense qu'elles sont
plus douées que les politiques.
C'est-à-dire que les danseurs
sont forts, ils savent d'où
ils viennent, ils ne se font pas d'illusions
quand ça les fait trop chier,
ils s'en vont quand même, ils
ne se laissent pas prendre, si on
les emmerde trop de toute façon
ils se cassent. Il y en a qui se disent
''maintenant que j'ai du fric, je
vais ouvrir une pizzeria'', ils ne
sont pas dans des trips de réussite
sociale, ils sont tout à fait
capables d'arrêter. Ils ne sont
pas tous comme ça, mais il
y en a quand même pas mal qui
sont comme ça, comme Franck
II Louise qui part à Marseille
pour continuer tranquille.
Y a-t-il des projets de création
d'un diplôme d'Etat de danse
Hip Hop, parce qu'il existe des diplômes
d'État de danse jazz, contemporaine
ou classique ?
C'est
en grande discussion, réflexion
(soufflant). Et c'est toujours pareil,
est-ce qu'on crée un diplôme
pour quelque chose qui doit être
subversif, qui doit être dans
la rue ? Et si ça ne devient
plus qu'une danse codée, quel
est son sens ? S'il n'y a plus la
philosophie qu'il y a derrière,
l'énergie qui va avec, est-ce
que cela a du sens ou pas ? Je me
dis que dans quelques années,
après quelques générations,
ça va faire comme le jazz,
ça va s'institutionnaliser
aussi. Pour l'instant, on n'en est
pas là heureusement !
Vous ressentez énormément
d'émotion quand vous allez
voir du Hip Hop, ressentez-vous cette
même émotion pour d'autres
danses, d'autres chorégraphes
?
Non,
je ressens cela différemment
parce qu'ils ont de l'énergie.
Il y a une énergie vitale qui
n'est pas cérébrale,
le contemporain c'est un tout autre
plaisir. Et puis, il y a la musique,
ça ne va pas au même
endroit.
Vous
connaissez un peu la scène
internationale ?
Quand
j'ai travaillé, on a fait des
rencontres avec la Belgique, l'Allemagne,
l'Espagne et l'Italie. Ce qui était
quand même le plus intéressant
c'était les pays du Nord. Ce
que font l'Allemagne, la Hollande
et la Belgique c'est bien, il y a
des trucs hors institutions. Nous,
on a une espèce de code de
la culture, de ce qu'il faut faire,
de ce qu'est la culture officielle,
donc les danseurs Hip Hop sont quand
même rentrés aussi dedans.
Il y aurait comme une culture Hip
Hop officielle, qui a le droit d'être
dans les théâtres, donc
certains se sont pliés à
ça. Il n'y a pas ça
dans le Nord ; il y a cette espèce
de pureté, au sens de gestes
authentiques, parfaits, de précision,
un peu comme ce que recherche Franck
II Louise. En Italie, et en Espagne
c'est le foutoir, il y a davantage
le côté hype, beaucoup
dans les représentations, et
je ne sais pas ce qui se fait en Angleterre,
mais j'aime beaucoup ce qui se fait
dans les pays du Nord.
Vous
aimez la compétition ? Genre
Battle ?
J'adore
! Oui, c'est unique, n'empêche
que j'aime aussi la création,
c'est ailleurs, c'est plus dans le
défi comme tel. Mais dans le
défi on voit des trucs extraordinaires,
il y a quand même les meilleurs
danseurs qui sont là. Je trouve
ça indispensable en plus pour
ne pas perdre l'esprit de rage, de
défi. Mais pour moi, il faut
qu'il y ait les deux. Les défis
organisés c'est récent
? Ca a 4-5 ans, le premier c'était
en Belgique je pense qu'il y avait
besoin de revenir à ça
aussi, parce ce qu'il y avait trop
d'institutions.
Vous
avez des collègues aux Etats-Unis
qui ont un peu ce travail de démarchage
que vous faites ici en France ?
C'est
totalement différent, comme
il n'y a pas de financement, les danseurs
américains sont très
solos, ils viennent souvent en France,
et il y a aussi beaucoup de compagnies
françaises qui sont programmées
aux Etats-Unis. C'est assez bizarre,
les danseurs là-bas font beaucoup
de démonstrations, mais ils
ne sont pas organisés en compagnies,
donc ils font des performances. Il
n'y a pas de fric dans la danse, dans
la culture, ce n'est pas aussi facile
qu'ici. Les grands danseurs sont pauvres.
Merci
pour vos précieuses informations
?
Merci.
Juillet
2001 -
Propos recueillis par Drey.K
Photos - Drey.K/Hip
Hop Flow
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